Le Miroir de Lisa

 

     Cela faisait plusieurs nuits que  Lisa faisait ce même cauchemar. Elle se voyait dans un torrent  glacial, luttant désespérément contre le courant qui tentait de l’emporter,  s’accrochant dans la force du désespoir aux parois lisses des rochers.

 

    En contrebas,  elle apercevait des corps sans vie gisant sur les écueils de leur désespérance. Épuisés, ils avaient du un à un  lâcher  prise  mettant un terme définitif à ce combat devenu trop rude.

 

     Seules quelques êtres isolés dont elle faisait partie, tentaient  encore de résister sans savoir où leurs folles épopées pourraient bien les mener. Dans cette vie de recluse ou sa seule compagne était  devenue la solitude Lisa se demandait alors ce qui lui restait  encore à préserver qui soit  plus chère que sa vie !

 

    Sentant ses forces l’abandonner et le doute l’envahir, elle s’apercevait alors que la rive  était accessible et qu’un simple balancement  du corps lui permettrait de l’atteindre. Sur cet ilot d’espoir ou peut être de survivance, des milliers d’hommes d’enfants, de femmes   étaient regroupés.  Certains buvaient avec concupiscence les paroles d’un prédateur  leurs laissant entrevoir un avenir meilleurs tandis que d’autres plus en retrait  semblaient figés n’osant lever les yeux  sur  leurs condisciples  d’infortune. Comme paralysée par un choix qu’elle n’arrivait sans doute pas à faire,  c’est alors qu’elle se réveillait en sursaut !

 

     Submergée un peu plus chaque jour par une angoisse qui la dévorait tout entière, elle restait de plus en plus longtemps plongée dans ses pensées, les yeux rivés au plafond se demandant ce qui allait bien pouvoir motiver son envie de se lever. Son reflet volait soudain en éclat et se dispersaient sous ses yeux les débris d’une existence aux multiples facettes, tant de fois colmatée! Ce fragile échafaudage n’avait pas résisté ! De ses assauts ne restaient que les cendres !  Avait-elle vraiment existé ? N’était-elle pas seulement  cette simple illusion qu’elle avait  fabriquée pour se donner une forme alors qu’elle se réduisait  en fait à de minuscules particules sans importance gisant sur le sol ! Le vilain petit canard refaisait surface mais cette fois il s’imposait à elle comme une réalité  contre laquelle  elle n'avait plus la force  de lutter !

 

 

 

Chapitre 1

   Dans l’urgence du désespoir lisa se mit à écrire, à écrire et à écrire encore tentant cette fois de  résister à l’envie d’en finir tout en  s’accrochant  à ses proches, à tous ces moments de quiétude, de bonheur absolu qu’offrait furtivement la vie. Elle s’était souvent réfugiée dans l’écriture, moyen pour elle d’exorciser sa souffrance, de mettre en mots ses émotions  pour ne pas être submergée mais cette  fois il y allait de sa survie ! L’écriture n’était plus là une simple alliée , une confidente, un remède contre le mal de vivre mais devenait, elle en était consciente, son unique planche de salut 

 

     Les jours qui suivirent Lisa s’activa semblant retrouver toute son énergie. Elle créa un site Internet afin de regrouper toutes ses créations ce qui lui prit un peu de temps et cela étant  décida de se lancer dans l’écriture d’un roman. Qu’allait –elle raconter tant les choses se bousculaient dans sa tête! Par quoi allait-elle démarrer! Lisa pensa alors que le plus simple était sans doute  de commencer par le début et retenu l’idée de raconter les souvenirs de son enfance.

 

 

      Jamais elle n’avait eu autant d’inspiration, les mots glissaient avec aisance sans effort de sa part comme si  elle suivait pas à pas cette enfant qu’elle avait été. Curieusement et elle en fût surprise, la  tonalité du récit était  enjouée et l’auto dérision très présente ce qui l’amena plusieurs fois à rire en se relisant. Elle voulait que son histoire soit drôle, distrayante et n’avait volontairement retenu que les moments gais et  heureux.

 

    Parallèlement  elle se mit à écrire en rafale poèmes, textes,  plus en phase avec ces ressentis, comme si une fois de plus il lui fallait séparer les évènements heureux des moments  douloureux pour pouvoir les appréhender ensuite dans leur globalité.

 

    Ce n’était pas en effet  la première fois que Lisa avait ce type d’attitude. A la mort de son père elle avait durant plus de deux ans occulté sa disparition, n’évoquant jamais le moindre souvenir. Tout objet susceptible de raviver sa mémoire avait soigneusement  été rangé au fond d’un tiroir.  Lisa sentait qu’elle n’était pas prête à affronter cette réalité, qu’il lui fallait avancer par petites touches pour ne pas se laisser aspirer par ce vide qu’elle ressentait. Elle savait aussi qu’il lui faudrait du temps pour se familiariser à l’absence et le moment n’était pas venu, c’était pour elle comme une évidence. Elle était enceinte de six mois, son père n’en avait rien su et elle ne voulait ou ne pouvait se concentrer que sur cet évènement heureux à venir.   « C’est trop tôt disait-elle quand on la questionnait à ce sujet,  je ne peux pas en parler sous peine de m’effondrer et qui sait de disparaître à mon tour  »

 

    Cette période de latence passée, sans doute moins fragile, Lisa profita d’un moment où elle était seule pour  sortir du tiroir la photo de son père,  la posant  bien en évidence sur le buffet de la cuisine. Elle la regarda alors  longuement  puis passa en boucle la chanson de Barbara « Il pleut sur Nantes ». Ce jour là, elle déversa sans doute les deux années de larmes qu’elle avait retenues et  le soir même  écrivit un poème à son intention mettant en mot ce qu’elle n’avait jamais pu ou su lui dire.  

 

                            .....

 

     Des semaines durant, Lisa n’eut comme seule obsession que de se libérer des mots qui l’assaillaient puis au fil du temps  l’inspiration s’épuisa. Elle avait le sentiment  d’avoir été au bout d’elle-même, de s’être vidée de ses mots et de n’avoir plus rien à sortir ! Elle avait certes étoffé son recueil de poésie, avait mis de l’ordre dans toutes ses créations, bien avancée ses deux romans,agencé joliment

son site mais pour autant elle ne se sentait pas apaisée. Elle  se demanda alors  pourquoi elle avait fait tout ça et surtout pour qui ! L’effet anesthésiant était passé et elle se retrouvait à la case départ 

 Chapitre 2

 

      En entrant dans la vie adulte Lisa  ne s’était pourtant pas sentie particulièrement tourmentée par un passé lourd qui aurait pu assombrir son existence ! Elle avait au contraire dès son plus jeune âge baigné dans un environnement socio culturel unique et extraordinaire qu’elle avait toujours perçu comme un privilège.

 

      Toute son enfance Lisa  avait vécu au milieu d’autres locataires, dans un ancien couvent de religieuses réhabilité en appartements et lieu d’animation.  Les occupations étaient nombreuses et les salles d’activités et de loisirs tout autant : salle de ping-pong, de télé, de musique, de gym,  foyer des jeunes, la salle de cinéma… Son lieu de villégiature avait toujours été par excellence cette vaste cour de récré où se retrouvaient le jeudi, week-end et vacances tous les gamins du canton. Elle se revoyait parmi eux gaie, espiègle, pleine d’entrain, meneuse de troupe et ne se souvenait pas de s’être un seul jour ennuyée ! Ses parents  travaillaient en journée  et consacraient ensuite bénévolement une partie de leur temps au cinéma. Dans ce système quelque peu communautaire Lisa s’était toujours sentie à son aise profitant  pleinement de tous ces moments de vie, d’animation et de culture. Elle avait appris très tôt  à embobiner et rembobiner les films avec son père, aidait sa mère à la confiserie, faisait du sport, de la musique, du théâtre, ne loupait sous aucun prétexte les épisodes de Thierry la Fronde ou de Zorro...  Quand sa mère se remémorait son enfance elle lui disait toujours : «  lisa tu as grandi comme un champignon, toujours contente,  prête à rendre service et jusqu’à tes 14 ans tu ne m’as jamais posé  le moindre souci !  Tu  voulais être missionnaire en Afrique pour t’occuper des petits pauvres !  A 8 ans tu organisais déjà des spectacles avec tous tes camarades et nous faisais  jeûner au moment du carême pour collecter des fonds, rajoutait-elle amusée!

 

    Lisa avait peu de souvenirs de moments familiaux partagés et  se rappelait d’avantage les instants passés avec l’un ou l’autre comme ci dans cette ambiance bouillonnante et particulière  la famille avait été quelque peu aspirée.  Elle conservait  également peu d’images d’instants de jeux ou de fous rire avec sa sœur de trois ans son aîné, qu’elle avait toujours assimilée à une grande personne! Elle était son contraire tant elle était calme, solitaire, réfléchie,  passant des heures entières dans sa chambre à faire ses devoirs ou à  lire tour à tour, la collection rose, puis la verte puis les Guy Décart, Les Henry Troyat…

 

     Comme tout le monde elle avait  du avoir ses peines et ses chagrins mais si peu au regard de certains de ces  compagnons de jeux ! De toujours elle avait été attirée voir aimantée par ces gosses un peu particuliers, qu’on repérait souvent de loin parce que mal fagotés, plus débrouillards, plus effrontés aussi ! Quant à sa sélection d’éducateur on lui avait posé la  question du pourquoi ce choix de métier elle avait répondu sans plus réfléchir, que c’était  pour elle comme une évidence, dans la lignée  des valeurs que ses parents lui avait toujours  inculquées ! 

 

   chapitre 3

 


    La transition entre l’enfance et l’adolescence avait été une période très difficile dont elle aimait peu se souvenir. Elle qui jusque là avait été docile, conforme à ce qu’on attendait d’elle et toujours de bonne composition  se montrait tout d’un coup profondémen cruelle envers ceux qu’elle aimait pourtant le plus.  Rien à ce moment là ne semblait plus l’atteindre c’est en tout cas l’image qu’elle renvoyait  car à l’abri des regards, elle s’effondrait facilement  consciente du mal qu’elle faisait aux siens tout en se montrant incapable de faire autrement!

    Dans cette période tumultueuse qui dura plus de trois ans, lisa centra toute son existence sur ses amis. Comme tous les jeunes de son âge elle eut ses premiers flirts et rencontra Philippe,  un parisien très séduisant qui collectionnait les filles et dont elle tomba éperdument amoureuse. mais il n’en sût rien. Étonnamment à chaque fois qu’elle se sentait attirée par un homme,  elle affichait  une certaine indifférence comme pour le dissuader de toute approche et devenait  l’indispensable confidente dont on ne pouvait  se passer ! Lisa pensa alors que son inhibition venait de l’éducation religieuse trop stricte et pleine de tabous qu’on lui avait inculquée dès son plus jeune âge et en voulut à ses parents de se sentir si différente des autres.

 

     A la recherche de son identité, Lisa fit le choix de partir loin de sa famille pour finir ses études et passa sa sélection d’éducateur à 400km de chez elle. Elle vécut un an en communauté  entourée de camarades aux mœurs libérés, ne s’en offusqua pas, les envia même d’être dégagés de toutes ces idées reçues qui l’emprisonnaient mais continua  à fonctionner sur le modèle de référence qu’on lui avait transmis. Elle avait sa chambre, son espace et était entourée d’une équipe joyeuse qui ne la jugeait pas. Chacun vivait sa vie comme il l’entendait et cela ne posait de problème à personne.  Pour la première fois Lisa ressentit un sentiment de liberté total mais curieusement n’en abusa pas !

 

    Au terme de ces deux ans elle rencontra celui qui allait être son mari. Il était le stéréotype même du séducteur né avec un carnet d’adresse bien rempli  mais cela cette fois ne la dissuada pas. Il ne vint pourtant pas à bout de ses résistances  et c’est sans doute ce qui l’accrocha.

 

   Ses études finies elle trouva  du travail dans sa région, se réconcilia avec sa famille, puis l’année suivante, se maria.

 

Chapitre 4

 

    Dans l’intimité de leur vie amoureuse Lisa se montrait peu entreprenante  et d’une pudeur excessive  ne supportant pas que son mari la voit nue.  Malgré l’amour qu’elle lui portait  et les efforts qu’elle faisait elle n’arrivait pas à associer l’acte sexuel aux sentiments : aimer était une chose, baiser en était une autre. Elle ressentait un profond dégoût pouvant aller jusqu'à la nausée et bien qu’elle prenait sur elle pour  ne rien laisser paraître afin de ne pas le blesser, les tensions était perceptibles tant son corps était figé, ses poings serrés. Lisa sentait bien que quelque chose chez elle n’allait pas, qu’elle risquait de perdre son mari si elle ne changeait pas d’attitude. Elle n’avait jamais pu dans ses relations passées aller au-delà d’une relation platonique même quand elle avait été très amoureuse  et se disait aujourd’hui que l’éducation stricte et religieuse ne pouvait pas à elle seule expliquer cet état de fait. Il y avait forcément autre chose, une raison à cela mais laquelle?

 

      Quelques temps après leur  mariage, Lisa et son mari invitèrent  François à manger , un vieil ami de la sœur de Lisa avec lequel il avaient  sympathisé. François était un prêtre ouvrier d’une quarantaine d’années sortant des sentiers rigides et classiques de la religion catholique. Il avait une vision plus moderne des choses, une approche différente de son rôle, et c’est tout naturellement qu’ils lui avaient demandé de les accompagner dans la préparation et célébration du mariage. L’ambiance au repas était bon enfant,  ils avaient  parlé de choses et d’autres puis au terme de celui-ci son mari s’en retournant  au travail, elle lui avait proposé un café avant de reprendre la route.

 

    Lisa ne se méfia en rien quand il lui demanda  de visiter  la propriété, qui en fait se limitait à deux pièces et à un petit jardin attenant à la maison. Dans la chambre François s’installa sur le lit, la félicita sur la déco puis la tirant par le bras la fit s’asseoir près de lui, posant amicalement son  bras autour de son épaule. Lisa se sentit gênée mais réfuta  l’idée d’une quelconque mauvaise intention de sa part. Il lui parla d’abord de sa sœur, évoquant son enfance malheureuse, le manque d’amour paternel qu’elle avait ressenti  face à un père alcoolique et souvent  tyrannique.

 

« Je suis en quelque sorte le substitut paternel de ta sœur, elle s’est beaucoup confiée à moi et je sais combien tu  as du souffrir toi aussi de  tout cela » lui avait-il alors dit en  la serrant un peu plus contre lui.

 

" Mon père est ce qu'il est mais c'est le mien et n'en revendique pas un autre! avait-elle rétorqué assez sèchement.

De quoi se mêlait-il à la fin, elle n’était pas sa sœur et les confidences qu’elle lui avait faîtes ne la regardaient pas !

 

    Cette proximité soudain  devenait oppressante et Lisa n’aspirait plus qu’à s'éloigner au plus vite. Quand il la  fit basculer sur le lit en un flash de seconde, la simple vision de ce visage ridé penché au dessus d’elle la plongea dans une horreur absolue ! Cette fois il n’y avait plus de doute, possible ! Prise de panique    Lisa le repoussa  avec force pour se dégager, dévala quatre à quatre les escaliers et le pria instamment de quitter les lieux.

 

«  Mais enfin Lisa ne sois pas stupide,  ce n’était qu’un geste d’affection, rien de plus, que vas-tu chercher là ? lui lança t-il semblant surprit de sa réaction puis  se  hasarda à quelques explications qu’elle refusa catégoriquement d’entendre.

 

      Après son départ, Lisa resta un long moment prostrée sur sa chaise, submergée par le dégoût que lui inspirait tout d’un coup cet homme. Sa sœur côtoyait un mec pareil, c’était à peine croyable, sans doute n’imaginait-elle pas ce dont il était capable ! Il fallait qu’elle lui téléphone, qu’elle lui raconte ce qui s’était passé !

 

    Au retour de son travail, son mari la trouva assoupie,  recroquevillée sur son lit,  dans une demi –pénombre. La table habituellement si joliment dressée n’était pas mise, le repas pas préparé et il se douta immédiatement que quelque chose n’allait pas. « Tu es malade Lisa ? » la questionna t-il doucement tout en lui caressant le visage. Quand  elle lui relata les faits , son mari céda à la colère » Quel beau salaud ce type ! Tu as bien fait de le mettre à la porte et il  vaut mieux pour lui que je ne le croise pas chez ta sœur car je lui colle   mon poing dans la gueule ! Puis la prenant dans ses bras rajouta «  Ne pleure plus ma chérie, oublie ce con  on ne le verras plus jamais!.

 

   Le soir même Lisa prit son courage à deux mains et téléphona à sa sœur mais face à sa réaction se sentie à la fois humiliée et doublement trahie.

 

« Comment peux-tu déballer de telles insanités sur François ! C’est notre ami depuis plus de cinq  ans et nous le connaissons  bien ! Il est démonstratif, attentionné comme peut l’être un père envers sa fille,  sans aucune arrière pensée ! Décidément ma pauvre fille,  tu vois le mal partout,  t’as un problème ! C’est grave tout de même de porter de telles accusations,  tu peux briser la vie et la réputation  d’un homme comme ça, en es tu consciente au moins ! !  

 

 «  Et m’amener dans la chambre, me basculer sur mon lit, tu trouves cela normal » riposta Lisa , blessée par les propos.

 

« Avec tes minis jupes renchérit à côté son beau frère, faut pas t’étonner et  venir te plaindre après ! »

 

  C’en était trop cette fois, plus qu’elle ne pouvait supporter ! Elle ne voulait plus en entendre d’avantage et fondant en larmes, tendit le combiné à son mari et se refugia dans sa chambre.

 

 La conversation fût brève ! Elle l'entendit juste  leurs dire avant de raccrocher à son tour " Vous ne valez pas mieux que lui ! C’est ta sœur tout de même, tu devrais avoir honte de la traiter ainsi! Je m’inquièterais à ta place le beauf,! Faîtes en sorte que je ne le croise jamais sur ma route car je peux vous assurer, curaille ou pas qu’il passera un sale quart d'heure!